« Merci », dis-je d’une fois faible à Nualia, la prêtresse de Desna.
A nouveau, elle me répond sans équivoque et de façon à peine détournée qu’elle est très bien disposée à mon égard.
Ceci malgré ma tête de déterré et mon piètre état. Oui, merci. Vraiment. A sa façon, elle me rappelle combien Desna nous apprend à aborder notre existence avec la légèreté de l’être, à profiter des moments de joies, à les créer même en célébrant la vie, les arts, la danse. Le papillon ne craint pas les tremblements de terre.
Mais dans mon chemin d’Arpenteur, j’ai trop de fois côtoyé la noirceur qui sommeille en ce monde pour prétendre que mes ailes ne sont pas recouvertes d’une chape de plomb qui m’attire dans les profondeurs.
Je me rhabille avec pudeur et nous rentrons au manoir Adrissant.
Je dois prier, prier encore et encore. Mais quel dieu prier ?
Ne suis-je pas déjà le jouet de Tarbaphon ?
Pourquoi ais-je la manifestation symbolique d’Aroden, son frère, et conservé certains attributs des Arpenteurs ?
Tant de questions auxquels je ne trouve pas de réponse. Mon monde continue à s’écrouler, morceaux par morceaux.
Mes parents qui m’ont aimé, choyé, appris le bonheur d’une vie paisible et honorable n’étaient pas mes parents.
Au lieu de cela, je découvre qu’Adivion Adrissant est mon père et que Carmilla Caliphvaso est ma mère.
Le premier reste un mystère et à mes yeux un menteur ignoble. Faire croire à la pauvre Lyana qu’ils pouvaient vivre un amour commun alors qu’elle n’est qu’un jouet, une création qu’il a conçu avec Pétros. En tant qu’oncle de Kendra, où était-il quand elle avait tant besoin d’elle ? Et moi… Denis Dias et Hélène m’ont donné tout l’amour que doivent donner des parents. S’il est mon père, pourquoi n’a t’il jamais été présent ? Je crains de ne jamais connaître la vérité car en voulant le sauver de la némésis de Forge, je n’avais pas réalisé qu’il serait banni avec lui à cause de cet étrange filament qui le retenait amorphe.
Et Carmilla… Quelle espèce de femme est-elle ? Assurément un monstre. Un monstre d’une beauté incroyable qui aurait tracé un pont miraculeux entre le ciel et l’enfer. Comme si ce visage d’une perfection surhumaine avait permis qu’un diable embrasse un ange sur la bouche sans éprouver la moindre culpabilité. Qui sait quelle folie insondable existe dans son âme pour faire plonger tout le gratin de Caliphas dans une luxure immonde et un déni de toute raison…
Quel est mon héritage avec de tels parents ? Suis-je une menace pour les miens ? Par mon orgueil, j’ai tué de nombreux innocents à Lepidstadt ainsi qu’à Illmarsh. J’ai acquis de trop grands pouvoirs et je ne suis même plus sur de les tenir d’une divinité ou d’une autre…
Enfin, Petros… Celui qui était pour moi un modèle, qui m’a enseigné tant de vertus, qui a éveillé ma curiosité du monde et aiguillé ma voie d’Arpenteur…. Pétros m’a menti, nous a menti. Je suis sans doute de mes compagnons celui qui en est le plus affecté car je suis resté le dernier à lui faire confiance. Alors qu’il est assurément le dirigeant de la Voie Qui Murmure…
Il nous a marqué comme du bétail et a interféré dans les vies et destins de beaucoup d’autres. Mon enseignement prône la liberté mais je ne suis libre en rien. J’ai les miens liés, mes pieds sont lourds, je n’arrive plus à avancer.
Chaque tentative pour découvrir un semblant de vérité se paie en souffrance et révélations atroces.
La morsure du Nosferatu, même si je m’en suis prémuni au préalable, reste une souffrance et le signe que l’homme est un loup pour l’homme. Chacun veut dévorer l’autre.
Le pouvoir et les titres des uns, la soumission des autres, l’argent roi, tout cela m’est devenu insupportable.
Les mensonges, les choses que l’on tait dans nos rangs tout autant.
La peur d’une prostituée à mon égard, la cupidité de mes congénères, la vacuité de mes efforts, tout cela me donne l’impression d’essayer de gravir en vain un chemin instable, fait de crânes et d’insectes grouillants.
Je suis las d’être un pantin sur un échiquier dont je ne comprends rien et ne suis d’ailleurs plus très désireux d’apprendre ni très enclin à la patience.
J’ai changé, c’est certain. Tout à l’heure, j’ai été bien incapable d’être efficient quand les vampires nous ont attaqués.
N’y a t’il pas une autre manière d’atteindre la liberté qui m’est refusée ?
Kendra, sommes-nous réellement allé l’un vers l’autre par notre propre choix ?
Quel chemin est juste ? Que chemin est faux ? Comment exprimer que je dois avancer ?
. . .
Difficilement, en proie à de nombreux doutes, Bartholomeu prie. Il prie Desna. Il prie Aroden. Il récite des phrases apprises par cœur plus qu’il ne les vit avec dévotion. Ses yeux sont rouges d’épuisement et de colère.